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Numérisation de l’agriculture suisse, allons-nous rater ce train ?
La numérisation de l’agriculture, ce ne sont pas seulement de nouveaux engins comme des drones, des robots de traite, d’alimentation et de nettoyage ou des tracteurs et des machines agricoles autonomes, guidés par GPS. C’est un changement systémique : ces nouvelles technologies seront connectées entre elles, mais aussi avec les instruments de gestion de l’exploitation comme le bilan de fumure, les plans d’affouragement et d’assolement et même avec la comptabilité. Ces connexions ne vont pas se limiter à l’exploitation, elles vont aussi être en lien avec les fournisseurs d’intrants et d’équipements et avec les acheteurs de la production agricole de l’exploitation. Même dans certains cas, par la mise en place de plateformes de commercialisation, ces connexions vont aller jusqu’au consommateur final. C’est un défi dont le potentiel d’amélioration, par exemple au niveau de la simplification administrative et du développement durable, est important. Cela présente toutefois aussi des risques, comme celui de laisser de nombreuses familles paysannes sur le carreau et de restreindre l’indépendance entrepreneuriale des exploitations agricoles.
Il y des signaux qui laissent malheureusement présager que nous pourrions rater le train de la numérisation de l’agriculture suisse. Le 19 juin a eu lieu à Zollikofen, en présence du Conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, la journée de la mise en réseau numérique : plus de 40 organisations sont venues signer la charte sur la numérisation de l’agriculture suisse. Pour l’instant, cette charte n’est qu’un bout de papier. Il est prévu de mettre en place une communauté de la charte pour la faire vivre. À la fin de cette journée, Bernard Lehmann, directeur de l’OFAG, a effectué une synthèse intelligente, digne d’un grand professeur. Cependant, nous aurions préféré entendre l’ordre de marche d’un capitaine qui fixe un calendrier, des objectifs à atteindre et surtout la mise à disposition de moyens pour atteindre ces objectifs. Les bonnes intentions ne suffisent pas. Nous avons besoin d’un cadre qui offre toute la latitude nécessaire au développement numérique, tout en préservant les droits et les intérêts des acteurs (propriété des données, sécurité, protection, transparence quant à la création et à l’utilisation de données, etc.). Et il faut des moyens, notamment financiers. En comparaison, les gouvernements français et allemand investissent des sommes importantes pour la numérisation de leur agriculture.
Deux projets importants de gestion des données sont en cours d’élaboration en Suisse. Le projet ADA soutenu notamment par IP-Suisse, TSM et Agrosolution. Le projet Barto soutenu par Identitas, Agridea, fenaco et des organisations actives dans l’élevage et la production animale. Il ne faut plus perdre du temps pour se prononcer pour ou contre ces deux projets. C’est un fait, ils existent, et il faut investir pour en faire des projets complémentaires. Or, ces projets prennent du retard notamment en fonction de problématiques juridiques. Là-aussi, la Confédération doit jouer un rôle de facilitateur et de soutien.
Au niveau des cantons suisses, nous avons cinq systèmes différents d’attribution des paiements directs, cinq systèmes qui assurent les mêmes prestations. Il serait temps d’avoir le courage de réfléchir à unifier ces systèmes. La future PA prévue pour 2022 va venir avec son lot de changements et pour les cinq systèmes, les cantons devront procéder à des adaptations informatiques qui vont coûter des millions de francs. Il y a urgence. Ces changements provoqués par la numérisation doivent être stimulés et accompagnés. La Confédération a un rôle central à jouer, mais qui va au-delà des bonnes intentions. Une task force privée publique doit être mise en place rapidement !
Francis Egger
Directeur adjoint
Responsable du département Économie, formation & relations internationales
Belpstrasse 26, 3007 Bern
francis.egger@sbv-usp.ch
Département Économie, formation & relations internationales
Division Économie agraire